mardi 18 septembre 2012

L'Art Nouveau existe-t-il à Montréal?

Par Émilie Tanniou

Montréal se caractérise par la richesse de son patrimoine Art Déco. Mais l'Art Nouveau, très présent en Europe, mais guère florissant en Amérique du Nord, a-t-il émergé à Montréal? Un rapide coup d'oeil à l'architecture de la métropole ne permet pas de repérer aisément ce style si particulier.

"L'art nouveau est un style original qui sut se dégager de toute influence antérieure. Il se distingue par des formes curvilignes inspirées du monde végétal"1
L'Art Nouveau correspond à la période de la Belle Époque, période de prospérité économique et de vitalité artistique allant de la fin du XIXe siècle à la première guerre mondiale. L'Art Nouveau s'étend de 1893 à 1914. 
1893 correspond au premier bâtiment Art Nouveau, l'hôtel Tassel, conçu par Victor Horta à Bruxelles. Il "introduit le fer et la fonte dans la maison bourgeoise, des matériaux industriels qui lui permettent d'ouvrir largement les espaces intérieurs, en laissant circuler l'air et la lumière. Il exprime les qualités de souplesse du métal en choisissant pour ornement la courbe abstraite dont les compositions variées constituent le thème décoratif des peintures murales et des mosaïques. Il crée ainsi un univers foisonnant où la ligne exprime la vitalité, la force de croissance de la végétation. La nature est une des sources fondamentales du nouveau style"2
Horta dessine également les tapisseries, le mobilier, les rampes d'escalier des maisons bourgeoises qu'il conçoit. Il s'agit alors d'un art "total". Cet art ne s'exprime pas seulement dans l'architecture mais également  dans le graphisme (l'écriture Art Nouveau), les affiches (Mucha), la peinture (Klimt) ainsi que dans les luminaires, poteries, vaisselle.

Bruxelles est la capitale de l'Art Nouveau, représentée par les architectes Victor Horta et Paul Hankar. Ce style s'exprime également à Glasgow avec la rose de McInstosh, à Paris avec les entrées de métro d'Hector Guimard, à Barcelone avec Gaudi et aussi à Nancy, à Vienne avec la Sécession viennoise pour les exemples les plus connus.

À Montréal, les constructions privilégiant le fer, la fonte, le verre pour créer des formes florales ou se doter de grandes fresques représentant des femmes ne sont pas légion. À l'exception d'un édifice d'inspiration Art Nouveau datant de 1912.

Ce bâtiment fait la part belle à la lumière avec ses nombreuses baies vitrées, au fer forgé dans les garde-corps des balcons et surtout aux formes courbes originales au-dessus des deux portes centrales et dans les  parties soutenant les balcons avant, à l'angle de la bâtisse.
Angle Saint-Laurent-Sherbrooke
La partie soutenant le balcon offre une ligne fluide

Au-dessus d'imposte de la porte, la partie soutenant les bay-windows réinvente l'arc en plein cintre
Cet immeuble peut faire penser à la Casa Batlo de Gaudi, à cause de la forme de ses balcons 3.

L'Art Nouveau à Montréal s'exprime également dans la forme des baies de bâtiments qui, s'ils correspondent à la période, ne sont pourtant pas Art Nouveau. Seules les ouvertures sont de formes curvilignes. La forme de la fenêtre ci-dessous est originale. Il ne s'agit ni d'un oeil de boeuf ni d'un arc en plein cintre. La baie évoque plutôt un fer à cheval.

Du côté du métro Guy-Concordia. De nombreuses baies similaires peuvent être vues  sur la  rue Saint-Denis entre l'avenue du Mont-Royal et la rue Roy et aussi sur l'avenue de l'Esplanade entre l'avenue Mont-Royal et l'avenue Duluth

L'Art Nouveau à Montréal s'exprime surtout dans les vitraux des maisons particulières, des duplex et triplex, surtout dans les impostes, au-dessus des portes et des fenêtres. En effet, "L'Art nouveau marque une partie importante de la production du verre au cours des années 1900-1920. Le vitrail est d'ailleurs l'une des rares manifestations de ce mouvement à Montréal. Les vitraux Art nouveau se reconnaissent à la sinuosité de la ligne, aux tons éclatants dus à l'emploi de verres opalescents, et au dessin envahissant toute la surface vitrée, se ramifiant du centre vers le pourtour. Leur sujet s'inspire essentiellement de la flore dont les éléments se prêtent bien aux arabesques.4"

Ci-dessous, le vitrail de l'imposte représente une fleur et ses feuilles, celui de la porte reproduit du feuillage. Celui-ci est stylisé et semble entourer le plomb qui retient les vitraux comme une plante autour d'un tuteur. La couleur a toute son importance, évoquant la nature encore plus fortement.

Rue Saint-Antoine, dans la Petite-Bourgogne
Art floral du côté du métro Guy-Concordia. Ces vitraux existent un peu partout à Montréal dans les constructions du tournant du XIXe et XXe siècle. Forte précence de vitraux Art Nouveau notamment sur le Plateau et sur la Rue Saint-Denis, dans Villeray.
Écriture Art Nouveau. Près du métro Guy-Concordia
Au lendemain de la première mondiale, l'Art Déco oppose à l'Art Nouveau des formes géométriques. La ligne courbe et l'évocation de la nature disparaissent au profit des angles droits (à l'exception du style Paquebot, qui prend son nom de la forme du bateau). Plus facile à construire à grande échelle et évoquant le modernisme, l'Art Déco connait lui un immense succès en Amérique du Nord.

La semaine prochaine : Les appendices des bâtiments

1. C. Davidson Cragoe, Comprendre l'architecture. Décoder les édifices et reconnaître les styles, Larousse, 2010, p. 45.
2. Françoise Aubry, "À propos de l'Art Nouveau", Réseau Art Nouveau
http://www.artnouveau-net.eu/Ler%C3%A9seau/ArtNouveau/%C3%80proposdelArtNouveau/tabid/376/language/fr-FR/Default.aspx
3. Gaudi designer, Casa Batlo
http://www.gaudidesigner.com/fr/casa-batllo.html
4. Louise Giroux, "Un vitrail à la fenêtre", Continuité, n°46, 1990, p. 30 dans Érudit
http://www.erudit.org/culture/continuite1050475/continuite1053923/18048ac.pdf

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