lundi 26 novembre 2012

Les intérieurs des bâtiments

Par Émilie Tanniou

Les décorations intérieures des bâtiments sont de véritables outils de marketing! Les moulures, portes sculptées, poignées chromées, calorifères en fonte et autres escaliers aux rambardes en fer forgé ont été pensés, créés et installés dans le but de véhiculer une image, un message.

Fragile et discret, le patrimoine intérieur des bâtiments est peu connu du public, il est moins évident car moins accessible et visible que l'extérieur des édifices. Du fait de sa faible reconnaissance, ces intérieurs sont les premiers à disparaître lors d'une rénovation.
Pourtant, apprendre à les voir et même à les lire permet de se rendre compte de l'ingéniosité des architectes, de leur souci du détail, surtout jusqu'à la fin de la première moitié du XXe siècle, avant que les intérieurs ne soient épurés sous l'influence du modernisme.
Les intérieurs, tout comme les extérieurs, reflètent l'image que le propriétaire des lieux cherche à donner au passant.
Dans le cas des grands magasins, cette image est particulièrement importante car elle se révèle être une vitrine de son image de marque.
Ainsi, la vente de produits haut de gamme induit de s'adresser à une clientèle sensible à l'apparence du bâtiment, lui même annonciateur du souci de la qualité et du détail de la marchandise.
Finalement ces décors forment ni plus ni moins qu'une forme de publicité pour le magasin.

Les édifices résidentiels jouent sur le même registre. Dans le cas des immeubles de logements réservés aux classes aisées, le vestibule annonce, par son décor, le prestige de ses occupants au visiteur. Il a pour but d'impressionner.

Le magasin Holt Renfrew, construit dans les années 1930, l'illustre parfaitement par son entrée recouverte de métal sculpté dont le but est de représenter le produit vendu à l'intérieur, la fourrure. 

De la Montagne, angle Sherbrooke

Le magasin Ogilvy édifié à la fin du XIXe siècle à l'angle de Sainte-Catherine et de la Montagne en est également un bon exemple. 

Les portes tournantes en bois, premier élément visible du mobilier en entrant dans le bâtiment sont recouvertes en partie de métal
Les portes ont pour décoration des poignées dorées travaillées

L'entrée de l'ascenseur est ornementée d'un bestiaire et de rinceaux (motif ornemental composé de tiges feuillues décrivant des méandres)

Le plafond et ses caissons ( motif décoratif, compartiment creux) ainsi que les colonnes sont mises en valeur par des moulures 

De même, les luxueux immeubles de logements cherchent à reproduire la vie dans les hôtels. Or, l'entrée est la seule partie du bâtiment visible pour le visiteur s'il n'a pas accès au reste de l'édifice. Elle devient donc la vitrine du reste des intérieurs de l'immeuble. Un grand effort de décoration est donc mis sur cet espace malgré tout restreint. Celle-ci vise aussi à dissimuler la technologie de l'époque.

L'immeuble à appartements appelé le Grosvernor sur Sherbrooke à l'angle de Guy offre un hall d'entrée avec moulures et portes en bois ouvragées. Les vitres permettent de donner un aperçu du reste du bâtiment

Dans le vestibule du Linton rue Sherbrooke à l'angle de la rue Simpson, un calorifère est dissimulé sous un cache en bois


Ce mobilier fait partie intégrante de ces édifices. Il dénote un souci de l'esthétique, de l'apparence jusque dans les moindres détails. Il reflète aussi une époque qui, malgré l'industrialisation et la production à la chaîne, cherche à embellir les objets malgré le fonctionnalisme naissant. Ces intérieurs sont dès lors les témoins d'une mentalité. Ils sont toutefois aujourd'hui tributaires d'une certaine sensibilité à leur égard pour être conservés. 


La semaine prochaine: le marché Saint-Jacques

mardi 6 novembre 2012

La reconversion du patrimoine religieux

Par Émilie Tanniou

Des églises et monastères transformés en condos, en musée, en salle d'exposition d'art contemporain, en centre communautaire ou même en spa. Les changements d'affectation rivalisent d'imagination et d'ingéniosité.

À l'heure de la désaffectation, déjà fort avancée, des lieux de culte, la question de leur reconversion se pose avec de plus en plus d'acuité. Toutefois, si l'on ne peut nier la dimension affective attribuée à un édifice cultuel par ses paroissiens, la reconversion de ces bâtiments est bien plus ancienne que la seule fin du XXe siècle et le début du XXIe siècle. Ainsi, la Free Presbytarian Church à Montréal, construite en 1848, est transformée en manufacture en 1884. On peut dès lors faire remonter la sécularisation d'un édifice cultuel au XIXe siècle1.

Cependant, les temples protestants et certaines synagogues sont moins difficiles à reconvertir que les églises catholiques car leurs intérieurs sont plus sobres. Les églises sont en revanche largement décorées avec force boiseries, vitraux, statues etc. Or, lors d'une reconversion, le patrimoine mobilier est autant à prendre en compte que le patrimoine immobilier. Une reconversion peut être pensée de manière à ne pas créer une coquille vide. Il est alors plus aisé de transformer une église en restaurant qu'en condos, comme c'est le cas à Glasgow et à Aberdeen, en Écosse. Cette solution permet de garder l' ''oeuvre d'art totale'' 2. Un restaurant peut s’accommoder des différents niveaux, des différents volumes. La chaire, l'autel, le choeur surélevé constituent alors différents espaces, différentes salles qui n'ont pas besoin d'être retirés ou modifiés pour permettre au restaurant de fonctionner.

Petit état des lieux des reconversions à Montréal. 

Construit au début du XXe siècle, le monastère dominicain d'inspiration classique, appelé Villa Veritas est reconverti en condos à la fin du XXe siècle. Si son aspect extérieur est parfaitement conservé, nous ne savons pas quelle est l'étendue des transformations à l'intérieur. 

Avenue Notre-Dame-de-Grâce

Nouvelle annexe du Musée des beaux-arts, l'église néo-romane accueille des expositions ce qui lui permet d'être conservée en l'état. De plus, ses vitraux donnent un éclairage particulièrement intéressant aux oeuvres. Seule l'ajout de l'entrée a amené a retirer un pan de mur.

Rue Sherbrooke ouest angle Avenue du Musée

Le couvent des Soeurs Grises aux allures Second Empire est sur le point d'être reconverti en logement pour étudiants internationaux. Les nombreuses salles de l'édifice devraient permettre cette reconversion sans que d'importants travaux soient nécessaires. Le bâtiment garde finalement sa fonction de dortoir. Or, la pérennité d'une fonction assure la conservation du bâti. L'église devrait devenir une salle d'exposition pour les étudiants en art.

Rue Saint-Antoine

Plus complexe, la conversion d'une église en spa est un exemple sans précédent au Québec. L'humidité permanente que générera cette activité laisse craindre qu'il ne soit possible de garder le mobilier. Enfin, l'installation de bassins va probablement amener à évider le bâtiment, à avoir recours au façadisme. Cependant, les travaux actuels laissent penser que l'enveloppe extérieure du bâtiment sera bien conservée. Les vitraux et murs arrières sont mis en valeur. 
Le seul volume de l'église au vocabulaire néogothique ne suffit pas au projet. Un agrandissement est prévu.

Rue Saint-Denis angle Duluth
Le mur du pignon de l'église est repeint

Vitraux d'origine et nouveaux châssis

Agrandissement de l'église pas la création d'une annexe
Adjacent à l'église, un monastère aux fenêtres à meneaux néo-Renaissance est à vendre. 

Rue Saint-Denis, angle Duluth

Au contraire, la conservation intérieure et extérieure du Séminaire des Sulpiciens de style Second Empire passe par sa fonction qui ne s'est jamais interrompue, l'enseignement.

Rue Sherbrooke ouest

Très coûteuse, la conservation des édifices cultuels pose de nombreux défis. À l'aspect financier s'ajoute le nombre d'églises en difficultés au Québec, autour de 3000 3.
Les exemples de reconversion cités ci-dessus sont donc souhaitables par leur créativité et par leur volonté d'investissement. Reste à ajouter un souci d'intégration de l'intérieur du bâtiment au projet.
Comme possibilité de reconversion tout en gardant la dimension de la conservation, pourquoi ne transformer ces anciens lieux de culte en nouveaux espaces de prières pour d'autres religions? Cette reconversion est celle qui affecte le moins l'intégrité du bâti. De plus, certaines communautés manquent de lieux de prière et éprouvent le besoin d'en construire. Intégrer des églises désaffectées peut être une solution, assurant une continuité dans la fonction cultuelle de l'édifice.

La semaine prochaine: les intérieurs des bâtiments

1. Le patrimoine de Montréal. Document de référence, Gouvernement du Québec. Ministère de la Culture et des Communications, Ville de Montréal, Canada,1998, p. 100.
2. Idem.
3. Caroline Montpetit, "L'entrevue. Vouloir sauver les églises sans se faire d'illusions", Le devoir, 28 juin 2010