dimanche 9 septembre 2012

La disparition du petit patrimoine

Par Émilie Tanniou

Le petit patrimoine constitue un peu partout en Occident, un patrimoine en voie de disparition. 
Il désigne "les petits éléments construits isolés ou faisant partie d'un ensemble"1. Il s'agit d'un patrimoine vernaculaire.
Méconnu, il n'est pas perçu comme significatif, doté d'une valeur architecturale propre. Il est davantage conçu comme facilement remplaçable, sans que cela n'altère la qualité du bâtiment auquel il s'intègre. 

Ainsi, même quand ils sont en bon état, les châssis (encadrements des portes et fenêtres) sont remplacés pour des raisons d'isolation, d'économie d'énergie, d'écologie. Exit bois et vitraux, place à l'aluminium et surtout au PVC. La destruction du petit patrimoine par les propriétaires de bâtiments a lieu discrètement, petit à petit, pour le plus grand bonheur des entreprises spécialisées dans le remplacement de châssis, encore une fois, au non de l'écologie.
Or, il semble difficile de comprendre quelle économie d'énergie est créée dans la production de châssis neufs en PVC, dans le but de remplacer ceux préexistants et souvent en bon état. Il est toujours plus coûteux sur le plan énergétique de produire deux fois le même objet plutôt qu'une. Surtout lorsque l'élément de départ est jeté. Ils s'agit d'une forme de surconsommation, produite quelle ironie, au nom de l'économie des ressources naturelles.
Or, lorsqu'ils sont bien entretenus, les châssis d'origine isolent les bâtiments. Ils ont été conçus dans cet objectif, notamment à Montréal où ils sont dotés de double vitrage pour se protéger du froid. Signe de leur efficacité, ces châssis sont encore présents presque partout sur le boulevard Saint-Joseph. Ils sont souvent en très bon état malgré leur grand âge (les immeubles datent des années 1930-40).
Si les châssis sont détruits pour cause d'isolation thermique c'est également parce que leur valeur, quand ils en ont une, est méconnue. 

En effet, s'il est doté de qualités architecturales remarquables, un bâtiment se voit aisément reconnaître une valeur patrimoniale par le public, ce qui n'est pas toujours le cas de ses diverses composantes. Or, ce sont chaque partie du bâtiment qui lui donne son aspect général. Les châssis font partie intégrante de la composition de la façade et constituent des éléments architecturaux à part entière. Lorsqu'ils sont de qualité, les châssis constituent des ouvrages d'artisanat, révélant un savoir-faire, une technicité souvent remarquable, d'autant plus que les matériaux utilisés tendent à disparaître. Ainsi, la matière et l'aspect technique d'un bâtiment comptent autant que son image puisque l'apparence de celui-ci relève de ces trois éléments.

Le boulevard Saint-Joseph concentre à lui seul nombre de châssis remarquables.

Petit patrimoine d'origine
Les châssis en bois ci-dessus sont en bon état. Le châssis intérieur est protégé par le châssis extérieur. L'imposte (baie surmontant une porte ou une fenêtre) contient un vitrail. Le balcon est d'origine avec son garde-corps en fer forgé. Il fait également partie du petit patrimoine. 
Parfois les vitres sont en vieux verre. Celui ondule, n'est pas lisse et déforme légèrement le paysage lorsqu'on regarde à travers (caractéristiques dues à sa méthode de fabrication, avant que celle du verre actuel ne soit généralisée). Le vieux verre tout comme les châssis sont des éléments de datation d'un bâtiment. Avec les châssis et balcons, le vieux verre tend également à disparaître.

Dans l'immeuble adjacent, la fenestration est identique mais le petit patrimoine, remplacé
Les châssis sont désormais en plastique, tout comme le garde-corps du balcon. Le vitrail a disparu ainsi que le vitrage composé de carreaux. De plus, la porte comporte une vitre tintée dont le motif, tout en limitant l'entrée de la lumière dans la pièce est d'une esthétique qui ne correspond pas à celle, plus générale, de l'édifice dans son ensemble. 

Vue d'ensemble des deux immeubles. À gauche le petit patrimoine d'origine, à droite, son remplacement
Autre exemple, cette fois sur la rue Crescent
Les châssis en bois sont doubles, intérieurs et extérieurs. Les vitres sont constituées de carreaux encadrés de petits bois (lattes entre lesquelles sont fixées les vitres d'une fenêtre). Les châssis de l'imposte en éventail (semi-circulaire) sont également doubles. Le petit patrimoine participe ici à l'esthétique, à la décoration et au souci du détail de ce triplex de la fin du XIXe-début du XXe siècle (garde-corps en fer forgé, fenêtres soulignées par l'encadrement de pierre rouge qui tranche sur la maçonnerie de pierre grise, parapet (protection le long d'un toit ou d'un balcon) ornementé).


Dans le triplex mitoyen, la fenêtre est identique mais le petit patrimoine a disparu. Le châssis n'est plus double mais unique. Des vitres simples remplacent le petit bois, dans la fenêtre et dans l'imposte. Le châssis est simplifié et fait perdre une de ses caractéristique à l'édifice. Or, celui-ci forme un ensemble, pensé dans les moindres détails par l'architecte, afin de lui donner une cohérence. 

De même, ce châssis se caractérise par la finesse de son petit bois. 
Cette fois-ci, le petit bois est remplacé par le PVC. Il s'agit d'une perte de matériau mais aussi de savoir-faire technique.

Vue d'ensemble des triplex en question
La conservation du patrimoine architectural passe par un bon entretien des bâtiments, par des restaurations. Au contraire, la rénovation qui consiste à remplacer des éléments architecturaux tend à uniformiser les bâtiments, à leur faire perdre leurs caractéristiques, témoins de l'histoire de l'architecture, des courants esthétiques et styles architecturaux mais aussi de l'histoire des matériaux et des techniques.


La semaine prochaine : L'Art Nouveau existe-t-il à Montréal?

1. Commission royale des monuments, sites et fouilles (Wallonie)
 http://www.crmsf.be/fr/patrimoine/quelques-d%C3%A9finitions

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