lundi 23 juillet 2012

Le façadisme

Par Émilie Tanniou

"Le façadisme est la peur architecturale de son propre temps"1.

En se promenant dans Montréal on observe très régulièrement des façades d'édifices anciens accolés à des structures contemporaines. Il s'agit de "façadisme".

Le façadisme est une "démolition de l'intérieur des bâtiments anciens et leur remplacement par de nouvelles constructions, entraînant, de profondes altérations typologiques, volumétriques, structurelles et constructives, avec préservation de l'ancienne façade (d'une manière critiquement aléatoire), celle-ci pourrait être reconstruite moyennant une reconstruction forcée de l'ancienne"2.
Le conseil des monuments et des sites du Québec qualifie les bâtiments ainsi transformés de "coquilles vides"3.

Le façadisme apparaît dans les années 1970-1980 comme une solution pour garder la façade d'un monument tout en construisant un bâtiment neuf et moderne à l'intérieur. Cette pratique ne tient toutefois pas compte de l'intérieur de l'édifice préexistant. En effet, l'intérieur du patrimoine bâti compte autant que l'extérieur. Il est représentatif d'une époque dans la distribution des pièces, le choix des matériaux, la décoration etc. L'intérieur peut révéler des indications sur le plan économique (la fonction de l'édifice, le statut de ses occupants), politique (utilisation de blasons), culturel (une décoration qui montre une origine géographique), social (les pièces réservées aux domestiques) et même genré (la place des femmes dans cet espace).
L'intérieur d'un bâtiment est une source pour l'historien de l'architecture.
On peut ainsi se demander quel est finalement l'intérêt de garder une façade seule alors que celle-ci avait une certaine cohérence seulement lorsqu'elle faisait partie d'un tout. 

Cette pratique, quoique fortement critiquée depuis plusieurs décennies par les professionnels du patrimoine, sévit aujourd'hui très largement à Montréal.
Le façadisme est parfois même poussé à l’extrême en ne gardant que la façade principale du bâtiment et non plus toutes les façades comme en témoigne la transformation du bâtiment ci-dessous en condominiums. Cette maison crénelée de la  fin du XIXe-début du XXe siècle comportait encore six façades début 2011.
Coin Saint-Denis/Laurier Est, décembre 2011
Un exemple plus connu est celui du Musée des Beaux-arts de Montréal. Il s'agit de la façade de pierre et de brique rouge, dotée d'une corniche et dont les fenêtres du troisième étage sont surmontées de frontons cintrés ou de forme triangulaire classique, brisés à la base.

MBAM
Le toit de cet édifice de la rue Sherbrooke a été transformé et l'intérieur de répond en rien à la distribution des pièces suggérée par la fenestration. La façade est seulement une enveloppe.

La transformation du toit du MBAM
Le façadisme peut aussi signifier la disparition d'un bâtiment préexistant dans un plus récent. Ci-dessous, à gauche de la photo, dans les hauteurs du Mile Carré doré, un bâtiment en brique doté d'écussons et datant du début du XXe siècle. Cet édifice est aujourd'hui compris dans une construction plus haute et plus large qui semble dater des années 1970. Cette dernière cherche à s’intégrer au bâtiment préexistant en utilisant le même type de matériau, la brique brune. Cette construction, même si elle cherche une forme d'intégration, implique toutefois une rupture d'échelle.

En haut du Mile Carré Doré
Certains exemples de façadisme sont plus réussis que d'autres, quand ils gardent l'aspect initial du bâtiment. En est témoin l'école art déco, aux bas-reliefs en pierre reconstituée indiquant sa fonction. L'école a été transformée en logements. L'intérieur a été évidé mais trois des quatre façades demeurent en état. Le toit a été supprimé pour ajouter un étage dans les mêmes tons que la brique jaune des façades, les châssis (cadre qui supporte le vitrage) d'origine ont été remplacés et certaines baies (vide béant pratiqué dans un mur pour servir de porte ou de fenêtre), transformées. Ainsi, une entrée principale devient une fenêtre comme le montre la photo ci-dessous.
Transformation d'une porte en fenêtre

Ajout d'un étage lors de la transformation

Remplacement des châssis d'origine


1 et 2. José Aguiar, "Le façadisme est la peur architecturale de son propre temps" in Colloque de l'ICOMOS (Conseil international des monuments et des sites), "Le façadisme dans les capitales européennes" Bruxelles, 19-29 mars
3. Conseil des Monuments et Sites du Québec, "Gare au façadisme" dans Continuité, n°75, 1998, p.56-58