dimanche 21 octobre 2012

Patrimoine, conservation, restauration: quelques jalons

Par Émilie Tanniou

 Le premier sentiment de l’homme fut celui de son existence, le second celui de sa conservation [1]

La conservation comprend notamment celle des objets qui l’entourent. Il s’agit de garder en bon état ce qui laisse une trace d’un peuple.

La conservation désigne le fait de conserver, de maintenir intact ou en bon état 3]. Il s’agit d’une opération indispensable à la survie d’une œuvre. Elle consiste en l’élimination de la cause et du produit de l’altération puis le renforcement, la consolidation des supports, le refixage des couches picturales et enfin la protection préventive[4] du patrimoine. 

Le patrimoine évoque depuis le XIIe siècle l’héritage du père (patrimonium en latin) et, depuis la fin du Moyen-âge et le début du XIXe siècle, l’héritage reçu des ascendants. Le terme renvoie à la famille, mais il peut être pris aussi au sens national, celui d’une grande famille. La notion est alors propre à un pays, puisque le patrimoine national consiste en une sélection de trésors nationaux, choisis parmi les œuvres produites dans ce pays[5]. Finalement, le mot patrimoine tel qu’il est utilisé aujourd’hui s’élabore pendant les Lumières et acquiert une force juridique au cours du XIXe siècle[6]. Il se définit alors par « la réalité physique de ses objets, par la valeur esthétique et documentaire (…) mais aussi illustrative, voire de reconnaissance sentimentale, que leur attribue le savoir commun. Il relève de la réflexion savante et d’une volonté politique, sanctionnées toutes deux par l’opinion. (…) il fonde une représentation de la civilisation »[7].
C’est ainsi que le XIXe siècle, en voyant s’affirmer le nationalisme, participe parallèlement à la mise en valeur du patrimoine national.

La restauration naît en même temps que le concept de monument historique. Avant, la maintenance, soit l’entretien et la restauration, allait de pair avec un nouvel usage du bâtiment et pouvait entraîner une altération et une transformation. Sauf exception, la question de la fidélité à l’état originel de l’édifice à restaurer n’était pas évoquée. La question est posée pour la première fois, avec une conscience des implications théoriques, en Grande-Bretagne, à la fin du XVIIIe siècle. La forme visée est une alternative à la conservation en l’état et à la restauration[8]. Le mot restauration a ensuite été employé de façon générique. Il reprend donc diverses formes d’intervention, plus ou moins lourdes, apportées à l’édifice telles que définies dans la Charte de Venise de 1964, comme la conservation et l’entretien[9]
Aujourd’hui, la définition de cette opération a lieu par rapport à la conservation, autre terme de l’alternative. La restauration est alors une opération complémentaire, qui touche à l’aspect de l’objet, visant la réintégration des lacunes, des retouches, afin de viser la restitution, de redonner sens à l’objet et d’améliorer sa valeur esthétique. Elle vise aujourd’hui à mettre en valeur les matières originales.

L’usage des langues étrangères pour désigner la restauration ou la conservation montre les limites assignées à leur signification respective. Pour dire restaurateur, l’anglais utilise le mot conservator. En allemand, Konservierung  désigne la conservation et  Restaurierung, la restauration. L’italien donne un sens presque exclusif du mot restauro[10]. Les notions de restauration et de conservation sont donc parfois regroupées sous le même terme, ce qui montre que les deux concepts peuvent se rejoindre fortement. Les deux actes apposés au monument visent finalement à pérenniser le bâti en question, la restauration étant alors perçue comme une manière de conserver le patrimoine. 

Souci de conservation dans le Mile carré doré


La semaine prochaine: "Rénovation, restauration et transformation à Montréal"



[1] Germain Bazin, « La conservation des œuvres d’art » dans Encyclopedia Universalis, Paris, Encyclopedia Universalis France, 2002, p. 328.
[2] Piero Gazzola, « la restauration des œuvres d’art » dans Encyclopedia Universalis, p.839.
[3] « Conservation » dans Le nouveau petit robert 2010
[4] Op. cit, p.839.
[5] Jean-Pierre Mohen, Les sciences du patrimoine. Identifier, conserver, restaurer, Paris, Éditions Odile Jacob, 1999, p. 16.
[6] Idem, p. 36.
[7] Dominique Poulot, Une histoire du patrimoine en Occident, Paris, Presses Universitaires de France, 2006, p. 4-5.
[8] Françoise Choay, « Prélude », dans Camillo Boito, Conserver ou restaurer. Les dilemmes du patrimoine, Besançon, Les éditions de l’imprimeur, 2000, p. 11.
[9] Françoise Boelens-Sintzoff, « restaurations » dans Christian Bordiaux (dir), L’église Notre-Dame du Sablon, Bruxelles, Ministère de la Région de Bruxelles-Capitale, Direction des monuments et des sites, 2004, p. 13.
[10] Piero Gazzola, « la restauration des œuvres d’art », p. 839.

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