dimanche 14 octobre 2012

Brève histoire de la restauration au XIXe siècle

Restaurer ou ne pas restaurer, là est la question. Il y a t-il plus de noblesse d'âme à subir l'érosion et les éboulements de la fortune outrageante, ou bien à s'armer contre une mer d'éboulements et à l'arrêter par une restitution?


Au XIXe siècle, la restauration, alors une discipline nouvelle, s’appuie sur différentes théories.
Le concept de restauration est né en Europe dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle. Il procède du rationalisme des Lumières et du pré-romantisme. Mais c’est au XIXe siècle qu’apparaît réellement l’intérêt pour cette discipline.

Parallèlement au développement de la conscience historique naît une nouvelle attitude envers l’œuvre d’art. Celle-ci est perçue pour la première fois dans une perspective historique, comme témoin de l’activité humaine qui s’est manifestée à un moment donné et qui, en tant que tel doit être conservée. La restauration se pose alors comme une discipline scientifique et non plus comme une pratique artisanale de la refaçon[1]. Les restaurations architecturales sont alors parfois liées au contexte historique de l’éveil du nationalisme qui correspond à un besoin d’adhérer au passé et à une volonté de sauvegarder les monuments comme symbole du prestige culturel de la nation. En effet, le concept de restauration naît en même temps que celui de patrimoine national. Le patrimoine architectural est pris en compte et la problématique de la restauration est discutée pour la première fois. Auparavant, la restauration, très rare, n’est envisagée que dans des circonstances exceptionnelles. La préférence allait à la réparation, la rénovation, la reconstruction et la démolition. Puis, des travaux s’imposent pour rendre son prestige à un témoin du passé de manière à ce que le lieu (ville, région, pays) où se tient le bâtiment puisse s’en enorgueillir. L’idée est de restituer l’unité stylistique « d’origine ». Seule prime la représentation idéale que l’on se fait d’un bâtiment même si elle permet l’adjonction d’éléments qui peuvent n’avoir jamais existé. Cette démarche est courante à l’époque[4]

Puis, au milieu du XIXe siècle, la nouvelle conception des bâtiments mène à l’analyse des constructions et des formes des monuments historiques. Les monuments sont mesurés en détail, comparés entre eux, classés et parallèlement l’archéologie du bâti se développe[5]. En outre, le développement de la philosophie de la restauration au XIXe siècle a lieu parallèlement à la revalorisation de l’architecture médiévale, alors importante. 
Deux théories contradictoires priment, soit la restauration dans le style de Viollet-le-Duc en France et le refus de la restauration de Ruskin en Grande-Bretagne. 


Pour Viollet-le-Duc, la restauration correspond à une restitution des parties manquantes dans le style original de l’œuvre. Pour cela, il se base sur une étude typologique des monuments de la même époque et de la même région, il élabore une grammaire de formes à appliquer par analogie à un édifice à restaurer. Il croit à l’unité de style d’un monument et il veut la retrouver quitte à « rétablir l’édifice dans un état qui peut même n’avoir jamais existé »[6]. Les conseils de Viollet-le-Duc incitent les architectes restaurateurs à intervenir sur un bâtiment historique et à le rendre méconnaissable, à faire émerger une image idéalisée. De plus, la restauration se fait sur la base d’un état existant et déjà transformé de l’édifice. Ainsi, des parties sont retirées par conviction qu’elles n’étaient pas en place dès le début et sont remplacées par des éléments qui auraient pu exister à l’origine. Il s’agit alors de finir, de parachever, l’édifice[7]


A contrario, Ruskin envisage la création comme un moment unique[9] et puisqu’il est soucieux de ne pas porter atteinte à la continuité entre le passé et le présent, il préconise la permanence. Pour lui, la lisibilité de l’âge de l’édifice doit être garantie pour préserver son intégrité[10]. L’œuvre d’art ne peut être renouvelée, corrigée, complétée sinon il s’agit d’une falsification. Dans sa conception, il importe de conserver seulement. Il écrit « prenez soin de vos monuments et il ne sera pas nécessaire de les restaurer ». 

Sont également prises en compte les théories de Pugin qui réévaluent l’art gothique comme un symbole de l’art chrétien. Dans son livre les vrais principes de l’architecture ogivale ou chrétienne, l’architecte veut faire revivre l’art gothique selon les principes mêmes de sa construction au Moyen-âge[12]. Car au XIXe siècle, le Moyen-âge, en tant que modèle à matérialiser dans l’architecture exerce une influence sur l’art de bâtir et se traduit par une vague de restauration de l’architecture chrétienne. La restauration correspond alors à la remise à l’honneur de concepts architecturaux, de formes du Moyen-âge et à la revalorisation de l’étude et de la restauration des constructions gothiques[13]. Il s’agit, dans le but de donner une légitimité à la nation, de faire remonter son histoire le plus loin possible et notamment jusqu’au Moyen-âge, période qui symbolise l’art chrétien par excellence. 
Cette théorie trouve un écho en Amérique du Nord, notamment à travers le succès de la construction d’édifices néo-gothiques.

Église néo-gothique, inspirée du gothique tardif (XIV-XVe), coin Sainte-Catherine et Lamontagne

Ainsi, la restauration interventionniste reflète la théorie française et l’entretien et la pérennisation de la fonction du bâtiment la théorie britannique.

La restauration à Montréal puise à cette époque dans ces deux influences.


La semaine prochaine: "Patrimoine, conservation, restauration : définitions"




[1] Catheline Périer-D’Ieteren, La restauration en Belgique de 1830 à nos jours, peinture, sculpture, architecture, Liège, Pierre Mardaga, 1991, p. 9.
[2] Idem, p. 10.
[3] Jacques Stiennon (dir), L’architecture, la sculpture et l’art des jardins à Bruxelles et en Wallonie, Bruxelles, La Renaissance du livre, 1995, p. 284.
[4] Griet Meyfroots, « la commission royale des monuments et la restauration de l’église aux XIXe et XXe siècles », dans Christian Bordiaux (dir), L’église Notre-Dame du Sablon, Bruxelles, Ministère de la Région de Bruxelles-Capitale, Direction des monuments et des sites, 2004, p. 60.
[5] Françoise Dierkens-Aubry, Jos Vandenbreeden, Le XIXe siècle en Belgique. Architecture et intérieurs, Bruxelles, Édition Racine, 1994, p. 59.
[6] Catheline Périer-D’Ieteren, La restauration en Belgique de 1830 à nos jours…, p. 133.
[7] Françoise Dierkens-Aubry, Jos Vandenbreeden, Le XIXe siècle en Belgique, p. 60.
[8] Éric Hennaut, La Grand place de Bruxelles, Bruxelles, Région de Bruxelles-capitale, 2000, p. 35.
[9] Catheline Périer-D’Ieteren, La restauration en Belgique de 1830 à nos jours…, p. 133.
[10] Françoise Dierkens-Aubry, Jos Vandenbreeden, Le XIXe siècle en Belgique, p. 60.
[11] Op. cit., p. 133.
[12] Idem, p. 138.
[13] Françoise Dierkens-Aubry, Jos Vandenbreeden, Le XIXe siècle en Belgique. Architecture et intérieurs, Bruxelles, Édition Racine, 1994, p. 57.

2 commentaires:

  1. Bonjour et bravo pour ton blog très intéressant !
    Je ne sais pas où écrire un mail alors j'écris ici, :) J'aimerais effectuer une maîtrise à l'UdeM option CEB, avec pour objet de mémoire potentiel le patrimoine industriel dans Montréal et ses environs, et je me demandais si ce n'était pas un peu vaste, s'il fallait plus cibler la demande (on doit envoyer un petit texte sur nos intentions), et si tu avais n'importe quel conseil à donner à ce sujet, ce serait vraiment cool.
    Voilà merci !!! :)

    Hélène

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  2. Merci Hélène!
    Oui ton sujet est un peu large. Tu pourrais recentrer en choisissant un lieu ou une période plus spécifique. Peut-être que tu pourrais cibler un quartier en particulier ou alors si tu veux garder tout Montréal, te concentrer sur une décennie en particulier.
    J'espère que ça va t'aider.
    Au plaisir,
    Émilie

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