Restaurer ou ne pas restaurer, là est la question. Il y a t-il plus de noblesse d'âme à subir l'érosion et les éboulements de la fortune outrageante, ou bien à s'armer contre une mer d'éboulements et à l'arrêter par une restitution?
Le concept de
restauration est né en Europe dans la deuxième moitié du XVIIIe
siècle. Il procède du rationalisme des Lumières et du pré-romantisme.
Mais c’est au XIXe siècle qu’apparaît réellement l’intérêt pour cette
discipline.
Parallèlement au
développement de la conscience historique naît une nouvelle attitude envers
l’œuvre d’art. Celle-ci est perçue pour la première fois dans une perspective
historique, comme témoin de l’activité humaine qui s’est manifestée à un moment
donné et qui, en tant que tel doit être conservée. La restauration se pose alors
comme une discipline scientifique et non plus comme une pratique artisanale de
la refaçon[1].
Les restaurations architecturales sont alors parfois liées au contexte
historique de l’éveil du nationalisme qui correspond à un besoin d’adhérer au
passé et à une volonté de sauvegarder les monuments comme symbole du prestige
culturel de la nation. En effet, le concept de restauration naît en même temps
que celui de patrimoine national. Le patrimoine architectural est pris en
compte et la problématique de la restauration est discutée pour la première
fois. Auparavant, la restauration, très rare, n’est envisagée que dans des
circonstances exceptionnelles. La préférence allait à la réparation, la
rénovation, la reconstruction et la démolition. Puis, des travaux s’imposent pour rendre son prestige à un témoin du passé de manière
à ce que le lieu (ville, région, pays) où se tient le bâtiment puisse s’en enorgueillir.
L’idée est de restituer l’unité stylistique « d’origine ». Seule
prime la représentation idéale que l’on se fait d’un bâtiment même si elle
permet l’adjonction d’éléments qui peuvent n’avoir jamais existé. Cette démarche
est courante à l’époque[4].
Puis, au milieu du XIXe
siècle, la nouvelle conception des bâtiments mène à l’analyse des constructions
et des formes des monuments historiques. Les monuments sont mesurés en détail,
comparés entre eux, classés et parallèlement l’archéologie du bâti se développe[5].
En outre, le développement de la philosophie de la restauration au XIXe
siècle a lieu parallèlement à la revalorisation de l’architecture médiévale,
alors importante.
Deux théories contradictoires priment, soit la restauration dans le style de Viollet-le-Duc en France et le refus de la restauration de Ruskin en Grande-Bretagne.
Pour Viollet-le-Duc, la restauration correspond à une restitution des parties manquantes dans le style original de l’œuvre. Pour cela, il se base sur une étude typologique des monuments de la même époque et de la même région, il élabore une grammaire de formes à appliquer par analogie à un édifice à restaurer. Il croit à l’unité de style d’un monument et il veut la retrouver quitte à « rétablir l’édifice dans un état qui peut même n’avoir jamais existé »[6]. Les conseils de Viollet-le-Duc incitent les architectes restaurateurs à intervenir sur un bâtiment historique et à le rendre méconnaissable, à faire émerger une image idéalisée. De plus, la restauration se fait sur la base d’un état existant et déjà transformé de l’édifice. Ainsi, des parties sont retirées par conviction qu’elles n’étaient pas en place dès le début et sont remplacées par des éléments qui auraient pu exister à l’origine. Il s’agit alors de finir, de parachever, l’édifice[7].
Deux théories contradictoires priment, soit la restauration dans le style de Viollet-le-Duc en France et le refus de la restauration de Ruskin en Grande-Bretagne.
Pour Viollet-le-Duc, la restauration correspond à une restitution des parties manquantes dans le style original de l’œuvre. Pour cela, il se base sur une étude typologique des monuments de la même époque et de la même région, il élabore une grammaire de formes à appliquer par analogie à un édifice à restaurer. Il croit à l’unité de style d’un monument et il veut la retrouver quitte à « rétablir l’édifice dans un état qui peut même n’avoir jamais existé »[6]. Les conseils de Viollet-le-Duc incitent les architectes restaurateurs à intervenir sur un bâtiment historique et à le rendre méconnaissable, à faire émerger une image idéalisée. De plus, la restauration se fait sur la base d’un état existant et déjà transformé de l’édifice. Ainsi, des parties sont retirées par conviction qu’elles n’étaient pas en place dès le début et sont remplacées par des éléments qui auraient pu exister à l’origine. Il s’agit alors de finir, de parachever, l’édifice[7].
A
contrario, Ruskin envisage la
création comme un moment unique[9]
et puisqu’il est soucieux de ne pas porter atteinte à la continuité entre le
passé et le présent, il préconise la permanence. Pour lui, la lisibilité de
l’âge de l’édifice doit être garantie pour préserver son intégrité[10].
L’œuvre d’art ne peut être renouvelée, corrigée, complétée sinon il s’agit
d’une falsification. Dans sa conception, il importe de conserver seulement. Il
écrit « prenez soin de vos monuments et il ne sera pas nécessaire de les
restaurer ».
Sont
également prises en compte les théories de Pugin qui réévaluent l’art gothique
comme un symbole de l’art chrétien. Dans son livre les vrais principes de l’architecture ogivale ou chrétienne,
l’architecte veut faire revivre l’art gothique selon les principes mêmes de sa
construction au Moyen-âge[12].
Car au XIXe siècle, le Moyen-âge, en tant que modèle à matérialiser
dans l’architecture exerce une influence sur l’art de bâtir et se traduit par
une vague de restauration de l’architecture chrétienne. La restauration
correspond alors à la remise à l’honneur de concepts architecturaux, de formes
du Moyen-âge et à la revalorisation de l’étude et de la restauration des
constructions gothiques[13].
Il s’agit, dans le but de donner une légitimité à la nation, de faire remonter
son histoire le plus loin possible et notamment jusqu’au Moyen-âge, période qui
symbolise l’art chrétien par excellence.
Cette théorie trouve un écho en Amérique du Nord, notamment à travers le succès de la construction d’édifices néo-gothiques.
Cette théorie trouve un écho en Amérique du Nord, notamment à travers le succès de la construction d’édifices néo-gothiques.
Église néo-gothique, inspirée du gothique tardif (XIV-XVe), coin Sainte-Catherine et Lamontagne |
Ainsi, la
restauration interventionniste reflète la théorie française et l’entretien et la
pérennisation de la fonction du bâtiment la théorie britannique.
La restauration à Montréal puise à cette époque dans ces deux influences.
La semaine prochaine: "Patrimoine, conservation, restauration : définitions"
[1] Catheline Périer-D’Ieteren, La restauration en Belgique de 1830 à nos
jours, peinture, sculpture, architecture, Liège, Pierre Mardaga, 1991, p. 9.
[3] Jacques Stiennon (dir), L’architecture, la sculpture et l’art des
jardins à Bruxelles et en Wallonie, Bruxelles, La Renaissance du livre,
1995, p. 284.
[4] Griet Meyfroots, « la commission royale des monuments et la
restauration de l’église aux XIXe et XXe siècles »,
dans Christian Bordiaux (dir), L’église
Notre-Dame du Sablon, Bruxelles, Ministère de la Région de
Bruxelles-Capitale, Direction des monuments et des sites, 2004, p. 60.
[5] Françoise Dierkens-Aubry, Jos
Vandenbreeden, Le XIXe siècle
en Belgique. Architecture et intérieurs, Bruxelles, Édition Racine, 1994,
p. 59.
[6] Catheline Périer-D’Ieteren, La restauration en Belgique de 1830 à nos
jours…, p. 133.
[7] Françoise Dierkens-Aubry, Jos
Vandenbreeden, Le XIXe siècle
en Belgique, p. 60.
[8] Éric Hennaut, La Grand place
de Bruxelles, Bruxelles, Région de Bruxelles-capitale, 2000, p. 35.
[9] Catheline Périer-D’Ieteren, La restauration en Belgique de 1830 à nos
jours…, p. 133.
[10] Françoise Dierkens-Aubry, Jos
Vandenbreeden, Le XIXe siècle
en Belgique, p. 60.
[13] Françoise Dierkens-Aubry, Jos
Vandenbreeden, Le XIXe siècle
en Belgique. Architecture et intérieurs, Bruxelles, Édition Racine, 1994,
p. 57.
Bonjour et bravo pour ton blog très intéressant !
RépondreSupprimerJe ne sais pas où écrire un mail alors j'écris ici, :) J'aimerais effectuer une maîtrise à l'UdeM option CEB, avec pour objet de mémoire potentiel le patrimoine industriel dans Montréal et ses environs, et je me demandais si ce n'était pas un peu vaste, s'il fallait plus cibler la demande (on doit envoyer un petit texte sur nos intentions), et si tu avais n'importe quel conseil à donner à ce sujet, ce serait vraiment cool.
Voilà merci !!! :)
Hélène
Merci Hélène!
RépondreSupprimerOui ton sujet est un peu large. Tu pourrais recentrer en choisissant un lieu ou une période plus spécifique. Peut-être que tu pourrais cibler un quartier en particulier ou alors si tu veux garder tout Montréal, te concentrer sur une décennie en particulier.
J'espère que ça va t'aider.
Au plaisir,
Émilie