mercredi 8 août 2012

Montréal se transforme en condo géant!

Par Émilie Tanniou

Fenêtres en plexiglas, encadrement gris-noir en métal, hall d'entrée recouvert de moquette "design", éclairage tamisé, bouts d'acier décoratifs sortant des murs et un tableau Ikéa comme cerise sur le gâteau. Cette atmosphère de grand magasin est en train d'uniformiser rapidement Montréal et l'épidémie a un terrain de prédilection : le condominium.

La concentration de condominiums (logements qui s'achètent à la différence des appartements qui se louent) fait étrangement penser à la banlieue, par l'uniformité du bâti et la fonction uniquement résidentielle.

Les constructions de condos se multiplient à Montréal, surtout depuis deux, trois ans. Certes, ces constructions répondent à une demande.

Mais, à y regarder de plus près durant les différents stades de construction, certains de ces condos paraissent être de piètre qualité. Les matériaux sont peu chers et donc peu solides afin de rendre l’acquisition de ces logements la plus abordable possible. Il s'agit d'une vue à court terme puisque ces biens immobiliers ne sont pas durables, des problèmes de rénovations se poseront dans une ou deux décennies.

À cela s'ajoute le fait que ces constructions de condos prennent le pas sur celles de logements locatifs. Ainsi, le nombre d'appartements à louer à Montréal ne s’accroît pas, malgré la demande. Ceci induit, entre autres, une hausse du prix des loyers ces dernières années.

En outre, s'ajoute une réserve quant à l'esthétique. En effet, ces constructions contemporaines sont l'occasion d’innover sur le plan architectural, de proposer des immeubles de condos intéressants sur ce point. Que nenni! C'est parfois le cas mais trop souvent ces bâtiments se ressemblent tous, ne font pas de vagues. Cela crée une uniformité qui montre, dans ce cas précis, une absence d'innovation créatrice et de réflexion liant architecture, esthétique et urbanisme.

Il faut toutefois reconnaître que ce type de bâti s'inscrit en plein dans le postmodernisme, en cherchant à s'intégrer à son environnement, à ne pas réitérer ce qui est maintenant perçu comme des erreurs de constructions modernistes de l'après-guerre qui créaient des ruptures d'échelle, sans vraiment réussir à séduire le public. Dans le cas présent, ces immeubles de condos s'alignent sur les triplex environnants et utilisent des matériaux similaires à ces derniers, tels que la brique. Certains cherchent même à calquer le type d’architecture environnante.

Dans ce cas précis, on peut se demander quel est l'intérêt de détruire un édifice ancien et caractéristique de l'architecture d'une époque et d'un quartier? Surtout si c'est pour le remplacer par un bâtiment neuf et similaire qui n'en est au final qu'une pâle copie.
Ci-dessous, un exemple de ce type de condos de briques. On le retrouve un peu partout à Montréal, rendant certaines rues homogènes alors que Montréal est dotée d'une riche architecture éclectique.

Condos postmodernes rue Sherbrooke, coin Saint-Hubert


L'autre type d'immeubles de condos, moins fréquent, recherche d'avantage d'originalité. Ainsi, dans l'immeuble ci-dessous, de la couleur est insérée sur sa façade principale et sa corniche est un clin d'oeil à celle du triplex mitoyen du début du XXe. Notamment, du fait de l'insertion de formes géométriques de couleur, ce type de construction est parfois qualifiée de "néomoderniste".

Condos néomodernes au centre-ville (près du métro Guy-Concordia)

Parfois encore, les architectes cherchent à concilier postmodernisme et néomodernisme. On peut alors voir de temps à autre des immeubles reproduisant le triplex de briques montréalais tout en ajoutant des notes de couleurs.

Le problème, c'est que pour construire ces condos, de nombreux bâtiments du tournant du XIXe et du XXe siècles sont détruits à travers la ville.

Ainsi faut-il laisser aux seuls promoteurs le soin de décider de ce à quoi Montréal va ressembler pour les décennies à venir? Si à Toronto les constructions de condos sont légion, créant des quartiers de condos reproduisant une mini-banlieue homogène, pourquoi est-ce que Montréal ne chercherait-elle pas à se démarquer en travaillant sur une meilleure intégration au tissu urbain existant?

Certes, apparemment cela coûte moins cher, sur le plan financier, de détruire et de reconstruire plutôt que de restaurer. Et comme le spécifie l'architecte portugais José Paixao : "construire du neuf est la solution de facilité, alors qu'une restauration comporte toujours son lot de surprises"1.
Il s'agit là cependant et encore une fois d'une vision à court terme. De fait, ces destructions ont un coût environnemental. " Contrairement aux idées reçues, démolir pour reconstruire des habitations très économes en énergie ne représente pas un gain environnemental. (...) la démolition-reconstruction d'un bâtiment mobilise l'équivalent de vingt-cinq à cinquante ans de sa consommation énergétique annuelle ultérieure"2.

C'est ainsi que les destructions de bâtiments se multiplient à Montréal. Certes, tous ne comportent pas de qualité architecturale notable mais c'est toutefois le cas pour nombre d'entre eux.
Voici quelques exemples de ces destructions-reconstructions:

Avis de destruction pour le bâtiment ci-dessous
Près du métro Guy-Concordia, les murs de la tourelle sont revêtus de beaux caissons de bois sculptés
Ci-dessous, une maison de tournant du siècle en attente de sa destruction, caractérisée par la mise en valeur de sa fenêtre néo-palladienne en haut de sa façade principale.

 Quartier Saint-Henri, hiver 2012

Enfin, la destruction de bâtiments, la construction de condos et le façadisme sont liés. Ainsi, la rue Cherrier sur le Plateau Mont-Royal affiche un bel alignement de triplex en pierre de la fin du XIXe siècle. Ceux-ci sont caractéristiques de la construction de logements très ornementés pour la bourgeoisie canadienne-française, autour du Carré Saint-Louis. Aujourd'hui, certaines de ces constructions sont menacées par le façadisme:

Construction de condos rue Cherrier, coin Saint-Hubert. Projet pour le bâtiment ci-dessous
Derrière la façade se construisent des condos
La façade rue Cherrier
Enfin, il semble que les quartiers abritant une population aisée tels que Westmount et Outremont sont davantage épargnés par ce type de construction. On peut penser que ces habitants n'hésitent pas à peser sur les décisions concernant leur environnement bâti, contrairement à ceux qui habitent les quartiers cités précedememt.
Finalement, pourquoi ne pas utiliser les terrains vagues disponibles à travers la ville pour construire ces logements?

Terrain en friche sur Sherbrooke entre Guy et McKay

La semaine prochaine : les ruptures d'échelle

1. Mathilde Gérard, "Rénover à coût zéro: le pari d'architectes de Porto" dans Le Monde, 17/05/2012
http://www.lemonde.fr/europe/article/2012/05/16/renover-a-cout-zero-le-pari-d-architectes-de-porto_1698175_3214.html
2. Philippe Bovet, "Architectes, ne cassez rien" dans Le Monde diplomatique, juin 2012
http://www.monde-diplomatique.fr/2012/06/BOVET/47869

3 commentaires:

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  2. Je suis d'accord avec ton point de vu sur la préservation de l'authenticité d'un quatier mais le fait de voir dans les condos des batîments convenues et similaires est assez éxagéré. Le com' précedent montre que les promoteurs se bougent pour proposer des projets originaux afin d'attirer la clientele qui dépense le plus.
    Si tu as d'autres exemples d'intégration urbaine réussi, je suis preneur ! ;0

    Coridalement

    Pierre

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  3. Bonjour Pierre,

    Bien sûr qu'il existe des projets de condos intéressants!Je m'intéressais ici à ceux qui pourraient l'être davantage voilà tout. De nombreux architectes font un formidable travail à travers la ville c'est certain!

    Émilie

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