lundi 27 août 2012

L'esthétique du béton

Par Émilie Tanniou

L'architecture de béton est un peu la mal aimée du grand public. Elle n'est pas associée au "beau", à l'agréable. Elle est au contraire plutôt associée à une architecture grise, liée aux grand ensembles urbains, souvent eux-même construits près d'un grand axe routier, ou alors loin de l'espace de sociabilité, le centre-ville. Rompant avec les matériaux de construction traditionnels comme le bois, la pierre et même la brique, le béton laisse rarement indifférent. Il peut-être qualifié de laid, de témoin des excès des Trente Glorieuses, de la construction à tout va, du "tout béton".

Les grands immeubles de logements en béton, construits un peu partout en Occident après la seconde guerre mondiale, étaient pourtant porteurs de modernité. Ils proposaient des logements avec un éclairage naturel maximal ainsi que tout le confort moderne (eau courante et chauffée, électricité, cuisine, salle de bain fonctionnelle). Ils représentaient le progrès.
Ces constructions de béton sont en effet issues du style moderniste. Dans les années 1920, celui-ci rompt avec les styles architecturaux décoratifs pour proposer une architecture dépouillée, épurée et visant à améliorer l'habitat. 
Ce style architectural est issu du Bauhaus (avant-garde et école d'architecture allemande) et des constructions innovantes de l'architecte suisse, Le Corbusier.

La manière de construire de l'architecture moderniste s'appuie sur le béton.
"Le béton est un mélange de mortier de chaux, d'eau, de sable et de gravier ou d'éclats de pierre que l'on laisse durcir dans des coffrages de bois. Facile à confectionner, peu coûteux, résistant, imperméable, ce matériau présente en outre l'avantage de conserver exactement la forme qu'on lui donne. Le béton est le matériau qui a permis aux Romains de construire des coupoles et des bâtiments de plusieurs étages. C'est aujourd'hui le matériau de construction de base. Au milieu du XIXe siècle, on eut l'idée de renforcer le béton en y noyant des tringles métalliques. Le béton armé ainsi créé allie la résistance de la compression du béton à la résistance de la traction du métal."1

Le béton n'est toutefois pas un simple matériau de construction, il permet également de décorer, une créer une esthétique.

Prenons une tour de logements du centre-ville de Montréal. 

Avenue Lincoln, près du métro Guy Concordia
Au premier abord, on voit un grand bloc de béton. Il s'agit en effet de brutalisme, un courant au sein du modernisme qui expose le béton brut. Il prône "les formes angulaires répétitives et la conservation de l'aspect brut du béton, donc avec un minimum d'ornementation. La forme la plus simple et commune de ce type de construction, au-delà du courant architectural, est le bunker, l'abri blindé, le blockhaus"2.

La façade est ici rythmée par trois alignements horizontaux de fenêtres, légèrement en retrait les uns par rapport aux autres. La partie à droite des fenêtres n'est en revanche dotée d'aucune baie (fenêtre ou porte), créant ainsi un contraste entre les deux parties du bâtiment. 

Gros plan sur le bâtiment avenue Lincoln
Dans le détail, on s'aperçoit que les murs de chaque côté des fenêtres ne sont pas à angle droit mais de biais et qu'à droite de chaque fenêtre figure une encoche dans le béton, cherchant, encore une fois, à rythmer la façade. L'ornementation existe donc bel et bien dans l'architecture moderniste et brutaliste. 

L'ornementation peut-être également "imprimée" dans le béton.
Quartier des Athlètes au bassin olympique, île Saint-Hélène, parc Jean Drapeau
Ci-dessus, une construction des Jeux Olympiques de 1976, au béton cannelé (strié).
Ci-dessous, les murs du hangar à bateaux sont également moulurés.

Hangar à bateaux, bassin olympique, île Saint-Hélène, parc Jean Drapeau

Détail du mur du hangar
Bâtiment de radio classique Montréal, île Sainte-Hélène
Le modernisme intègre ici des jardinières à l'architecture. Le mur devient végétalisé. La végétation comme le béton participent à l'ornementation. 
L'esthétique moderniste s'exprime jusque dans le mobilier urbain. Ce courant est alors présent à l'intérieur comme à l'extérieur des bâtiments et cherche à améliorer la vie de l'homme du XXe siècle, dans l'espace domestique, celui du travail et des loisirs. Cette architecture est en quelque sorte "totale" puisqu'elle pense à tous les besoins de l'homme:

Jardinière, gradins du bassin olympique, île Sainte-Hélène, parc Jean-Drapeau
Banc et jardinières intégrées,  Quartier des Athlètes, île Sainte-Hélène, parc Jean-Drapeau
Contremarches à demi évidées, tour de départ du bassin olympique,  île Sainte-Hélène, parc Jean-Drapeau
Fontaine à eau aux formes arrondies,  île Sainte-Hélène, parc Jean-Drapeau
Le patrimoine bâti s'étend aujourd'hui aux bâtiments des années 1970 et 80, pour les plus remarquables. Cela signifie que des édifices de béton sont aujourd'hui classés. Une association mondiale en a même fait son mandat: DoCoMoMo 3.
Toutefois, le principal problème de la conservation de ce type de bâtiment se pose avec celle du béton qui vieillit mal. De plus, certains bâtiments, construits après la deuxième guerre mondiale, n'ont pas été conçus pour durer.

Béton armé rouillé

La semaine prochaine: la disparition du petit patrimoine.

1. C. Davidson Cragoe, "Comprendre l'architecture. Décoder les édifices et reconnaître les styles", 2010, Larousse, p. 60
2. Clin d'oeil à ceux qui ont étudié à l'Université de Montréal: 
Constance Tabary, "Ode au brutalisme" dans Quartier libre, le journal indépendant des étudiants de l'Université de Montréal, volume 17, Numéro 15, 31 mars 2010, Campus
3. DoCoMoMo Québec: 

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