Par Émilie Tanniou
Vu à Montréal dans une même rue: des triplex fin XIXe siècle, un immeuble de logements début XXe siècle, enfin des tours modernistes des années 1960.
Vu à Montréal dans une même rue: des triplex fin XIXe siècle, un immeuble de logements début XXe siècle, enfin des tours modernistes des années 1960.
L'importante différence de hauteur et de volume entre ces différents bâtiments est appelée rupture d'échelle.
En effet, lorsqu'un type de bâti prédomine dans un îlot, il existe une unité en terme d'architecture et d'échelle. Au contraire, lors de constructions ultérieures, ce bâti peut se retrouver isolé.
Ce cas est fréquent au centre-ville de Montréal. Il est surtout caractéristique des Trente Glorieuses. Par la suite, urbanistes et architectes cherchent à davantage prendre en compte les constructions préexistantes pour mieux y insérer des édifices contemporains, à faire preuve de davantage d'intégration.
Ce cas est fréquent au centre-ville de Montréal. Il est surtout caractéristique des Trente Glorieuses. Par la suite, urbanistes et architectes cherchent à davantage prendre en compte les constructions préexistantes pour mieux y insérer des édifices contemporains, à faire preuve de davantage d'intégration.
" Au Québec comme ailleurs, le mouvement moderne a légué une architecture internationale générique en nette rupture avec le passé. Concurremment aux grands travaux d'infrastructures publiques, il a eu pour effet de transformer radicalement les villes et les villages. (...) La prise en compte des traits spécifiques des milieux n'a été réactualisée qu'au début des années 1980."1
Fortement critiquée, notamment à cause des destructions qu'elle implique, la rupture d'échelle dans le cadre bâti permet toutefois aujourd'hui de comprendre les différentes phases de construction d'un quartier, de "lire" la ville.
Voici quelques exemples de ces ruptures d'échelle dont certaines datent du début du XXe siècle. Ci-dessous, au premier plan, les maisons recouvertes de pierre rouge (souvent importée d’Édimbourg) à trois niveaux, dotées d'oriels (bay-windows), tourelles et pignons, sont caractéristiques de l'habitat de la bourgeoisie anglophone à la fin du XIXe siècle, notamment à l'ouest de la rue Sherbrooke.
La rue Sherbrooke entre Guy et McKay |
Au second plan, le Linton, immeuble de briques jaunes du début du XXe siècle, étire ses dix niveaux. Le dernier étage a été ajouté au dessus de la corniche. Le niveau inférieur est recouvert de pierre grise, les étages supérieurs bénéficient de la luminosité offerte par les oriels. Le Linton s'orne dans les angles de chaînage (ici la pierre blanche ressort sur la brique jaune) et de motifs moulés (en forme de grappes fleuries).
Cet immeuble de logements, appelé aussi de rapport, se développe le long de la rue Sherbrooke sur le modèle des grands hôtels. La bourgeoisie anglophone y a élu domicile dans les années 1910. Logement plus moderne et moins coûteux à entretenir qu'une maison particulière, l'appartement permet de réduire le nombre de domestiques tout en bénéficiant des services offerts par l'immeuble.
Les maisons bourgeoises et l'immeuble de logements sont séparées par quelques décennies seulement, mais surtout par une différence de conception et de langage architectural, ainsi que par une rupture d'échelle.
Une seconde rupture d'échelle existe entre l’immeuble de logements et une construction plus contemporaine. Entres ces deux bâtiments, un édifice de la même hauteur que le Linton. Doté d'une corniche, il reprend une partie du vocabulaire architectural employé par le Linton. Achevé il y a peu, il cherche à s'intégrer au bâti préexistant et s'inscrit dans le mouvement postmoderne. Il n'existe pas de rupture d'échelle entre ces deux bâtiments. En revanche, le bâtiment moderniste de logements en béton situé au dernier plan de la photo ci-dessous marque une nette différence de hauteur avec le Linton. Ainsi, ces cinq bâtiments abritent la même fonction mais sont chacun les marqueurs de leur époque sur le plan stylistique, par l'emploi des matériaux et par la différence de dimension.
Seconde rupture d'échelle entre le Linton et la tour au troisième plan |
Dans ce cas-ci la rupture d'échelle a lieu entre chaque bâtiment, elle est progressive. Elle peut être plus brutale lorsqu'une maison
de la fin du XIXe siècle à fausse mansarde est accolée à une tour moderniste en béton datant des années 1960.
Avenue Lincoln |
Ces maisons en rangée sont parfois encaissées entre deux tours.
Avenue Lincoln |
Finalement, les bâtiments ne sont pas les seuls témoins d'une époque, la rupture d'échelle est également symptomatique d'une période donnée, en l’occurrence le XXe siècle. Elle révèle une manière de penser (ou de ne pas penser?) l'urbanisme, la ville. On la retrouve un peu partout en Occident de la fin du la seconde guerre mondiale à la fin des années 1970.
La semaine prochaine: Le béton et l'architecture moderniste
1. Jacques White, "Le passé conjugué au présent" dans Continuité, n°108, 2006, p. 24-26
http://www.erudit.org/culture/continuite1050475/continuite1055783/17597ac.pdf
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